Amiral de Grasse
Marquis de la Fayette
drapeau du régt de Touraine
uniforme de Touraine
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Un Maroillais à la guerre d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique

 

« Le voyage me semble un exercice profitable… Et je ne sache point meilleure école à façonner la vie » est une sentence du philosophe du 16e siècle Montaigne. C’était au temps où les « porteurs de maroilles » régalaient déjà Paris. Nos ancêtres voyageaient donc aussi. A pied, à cheval, ils parcouraient les routes et chemins pour toutes sortes de déplacements, négoce, pèlerinages... Ceux qui pérégrinèrent hors du continent européen avant le 19e siècle sont rares. Le premier Maroillais à fouler le sol des Amériques se nomme Ambroise Joseph Davreux. C’est en 1779, soit près de trois siècles après Christophe Colomb ! Militaire de carrière, en ce temps c’est la meilleure façon de voir du pays, Davreux s’est engagé dans le Régiment de Touraine le 16 juillet 1777. Il a 18 ans. Son unité combattra aux côtés du général américain George Washington, du vicomte de Rochambeau et du marquis Gilbert de La Fayette pour la liberté de l’Amérique !

Davreux est né à Maroilles en 1759. On ne sait rien de lui sauf qu’il est inscrit sur la liste des combattants français de la guerre américaine (1778-1783), liste établie d’après les documents des archives du Ministère de la guerre, publiée en 1903 par Henri Mérou, consul de France à Chicago. Elle fait suite à la demande de la Société Nationale des Fils de la Révolution Américaine, créée en 1889 aux USA. La mention qui le concerne est laconique : « Davreux (Ambroise-Joseph) né à Maroilles (Hainaut) (1759), S 16 juill 1777, mort au Cap le 23 juin 1782 ». L’histoire de la naissance des USA et le parcours de son régiment vont permettre de retracer la carrière de notre héros maroillais.

 

Touraine, un régiment de prestige de l’Ancien Régime

Le régiment de Touraine est créé le 29 avril 1625. En 1775, il est commandé par le colonel Claude Anne, marquis de Saint Simon Maubléru, puis à partir du 13 avril 1780, par le colonel vicomte de Poudenx. Davreux servira successivement sous ces deux officiers. Valeureux régiment, Touraine s’est illustré à Valenciennes en 1677, lors des batailles de Fleurus en 1690, de Malplaquet en 1709, et garde Maubeuge durant les combats de Denain en 1712. En juillet 1777, au moment de l’incorporation de Davreux, le régiment est en garnison à Verdun, avant de cantonner à Arras en 1778, puis en 1779 à Hennebont (Bretagne). Il s’embarque à Brest en décembre 1779 pour les îles d’Amérique, en premier lieu les Antilles, à La Martinique. Le transport de troupes par mer est alors particulièrement inconfortable : un hamac pour deux hommes, sujets au scorbut, les organismes sont mis à rude épreuve. On ne sait si Davreux fit parti du détachement qui se trouvait sur les navires du comte de Guichen lors des trois combats navals livrés à l’amiral anglais Rodney en avril/mai 1780 au large de la Martinique ?

Après un séjour à la Martinique, le régiment cantonne à Cap-Français sur l’ile de Saint-Domingue courant 1780 : les rôles du régiment y comptabilisent nombre de soldats décédés de fièvres. Possession française, l’île au climat hostile vaut pour ses cultures sucrières. C’est là que le marquis de Saint Simon Maubléru reçoit l’ordre de préparer un renfort de 3 400 hommes pour l’armée du vicomte de Rochambeau (forte de 6 000 soldats) qui se bat sur le continent américain aux côtés des insurgés, nommés aussi « patriots ». Le 4 août 1781, les régiments de Touraine, Agenais, Gâtinais embarquent sur les navires du lieutenant général des armées navales, l’amiral François de Grasse, marquis de Tilly (qui vient de Brest d’où il est parti le 22 mars avec 24 vaisseaux et 5 frégates). Ils passent devant La Havane et mouillent le 30 dans la baie de Chesapeake, face à la bourgade de Yorktown (Etat de Virginie). But de l’opération : bloquer la baie que l’amiral anglais Graves veut conquérir pour ravitailler le marquis Charles de Cornwallis, chef des loyalistes anglais, enfermé dans la ville de Yorktown.

Grâce à la liste des soldats qui ont combattu pour l’indépendance, il est possible de connaître le nom du bateau qui transporta Davreux sur le sol américain. Il servait dans la compagnie du capitaine Thorenc qui effectue la traversée sur « La Bourgogne » avec 850 de ses compagnons et officiers. Le chevalier de Charrite, surnommé par les Anglais « le brave capitaine du vaisseau noir », en est le capitaine. Il commande un équipage de 439 marins, des officiers aux mousses presque tous natifs de communes maritimes françaises : La Ciotat, Toulon, La Rochelle, Brest, Saint Malo, Cherbourg… Il fait partie de l’escadre de l’amiral Bougainville sous les ordres de l’amiral de Grasse. Offert par les Etats de Bourgogne au roi Louis XIV, le navire a été lancé de Toulon, son port de construction, le 26 janvier 1766 sur un modèle classique de vaisseau de l’époque. « La Bourgogne » est armé de 74 canons, mesure 56 mètres pour une jauge de 1 600 tonneaux. Il fera naufrage le 4 février 1783 dans le golfe du Venezuela avec son équipage : 10 officiers et 150 hommes mourront noyés.

 

La Fayette me voilà ! La victoire décisive de Yorktown

Cette fois Davreux a pris pied sur le sol américain, et s’apprête avec son régiment à tenir un rôle de premier plan dans la guerre d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Quelle arme sert-il dans son régiment ? On l’ignore. Trois possibilités : il pouvait être fusilier, grenadier ou plus probablement chasseur. Sa fiche ne mentionne aucun grade.

Le 6 février 1778, la France a signé une alliance et un traité d’amitié avec les insurgés des treize colonies américaines qui veulent leur indépendance. Notre pays entre alors officiellement en guerre contre l’Angleterre après une période d’aide secrète aux Américains (avec Beaumarchais) qui a débuté dès la déclaration d’indépendance de Thomas Jefferson le 4 juillet 1776 (Independence Day). Notre pays aura successivement envoyé trois escadres au secours de Washington : celles des amiraux d’Estaing en avril 1778, de Rochambeau en avril 1780 et de de Grasse le 22 mars 1781. Les armées américaine et française connaîtront une succession de victoires et de revers de 1776 à 1780.

A l’arrivée de l’amiral de Grasse dans la baie de Chesapeake le 30 août 1781, Davreux et son régiment débarquent pour rejoindre les troupes de La Fayette à Williamsburg le 2 septembre. C’est sous les ordres de ce héros français de la guerre d’indépendance que Davreux va combattre durant le siège de la ville fortifiée de Yorktown, aux côtés des soldats de Rochambeau et des Américains de Washington. Le régiment Touraine s’y illustrera en ouvrant le feu dans les premiers sur les redoutes de la ville assiégée et en coulant avec ses batteries le navire anglais « Charon ». Rochambeau dira de cette bataille : « Jamais la France n’eut un avantage aussi marqué sur l’Angleterre que celui-là ».

La capitulation de Cornwallis à Yorktown le 19 octobre 1781 sera le dernier fait de guerre important de la guerre d’indépendance. Victoire décisive donc à laquelle aura contribué notre Maroillais !

 

Retour à Saint-Domingue pour y mourir

Après cette victoire éclatante, le régiment de Touraine avec Davreux réembarque le 26 novembre sur la flotte de l’amiral de Grasse : direction Fort-Royal à La Martinique pour un court repos. A partir de 1782, la guerre devient mondiale. Nombre de pays européens se rangent aux côtés de la future Amérique. Touraine et Davreux montent le 5 janvier 1782 sur la flotte de l’amiral de Grasse et participent à la prise de l’île de Saint Christophe (Saint Kitts) : tandis que les fusiliers du régiment prennent Bristone-Hill qui capitule le 12 février, grenadiers et chasseurs sont attaqués par 1 300 Anglais alors qu’ils défendent le port de Basse-Terre. Claude Thiou, jeune soldat de Touraine blessé par un boulet, s’amputera lui-même de son bras droit avec un couteau avant de poursuivre sa mission ! L’île est gagnée le 13 février. Après avoir pris « Montasarrat », aujourd’hui l’île volcanique de Montserrat aux Antilles, l’escadre à court de vivres rejoint La Martinique. Le 8 avril nouveau départ à la conquête de la Jamaïque qui se soldera par la sanglante défaite navale des Saintes (entre la Guadeloupe et la Dominique) : de Grasse est fait prisonnier le 12 et l’on compte 2 000 morts parmi les marins français. Davreux échappe à la captivité, navigant peut-être sur « Le Sceptre » du capitaine de vaisseau de Vaudreuil. Durant ces batailles navales et terrestres, Davreux aura perdu nombre de ses compagnons : des 250 hommes environ de la compagnie Thorenc, Pierre Drapier natif de Valenciennes sera tué au Cap-Français le 9 avril, Laulanie, dit Landreci, mort en mer le 15 avril, etc… Retour de Davreux à Saint Domingue le 25 avril 1782.

 

Probablement victime d’une épidémie de malaria (paludisme) qui règne à l’état endémique, Ambroise Joseph Davreux meurt à l’hôpital militaire de la ville de Cap-Français sur l’île de Saint-Domingue le 23 juin 1782. Beaucoup de décès dans le régiment Touraine sont repris à la même période : notamment Félix Roch, né à La Folie le 21 juin, Aubert, Lambelet et Vigé morts aussi le 23. Le régiment de Touraine rejoint la France et mis en garnison à Avesnes l’année suivante au moment où le traité de Paris est signé, confirmant la victoire américaine (3 septembre 1783). Toute mort interroge. Humble histoire devant l’Histoire, la vie et la mort de Davreux n’à pas moins permis à Maroilles de compter un de ses enfants parmi les soldats qui ont combattu pour la création du futur plus grand état démocratique et républicain du monde. Une œuvre française inspirera sa constitution : L’Esprit des lois de Montesquieu. 


Sources :

« Les combattants français de la guerre américaine » Henri Mérou – 1903

« Relation des combats et des évènements de la guerre maritime entre la France et l’Angleterre » Contre amiral Yves Joseph Kerguelen-Tremarec – 1796

Hervé Gournay - Société Historique de Maroilles