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LANDRECIES

 

JOURNAL D’UN ENVAHI

Dans des numéros précédents, nous avons évoqué quelques faits survenus à Landrecies pendant la première guerre mondiale : « l’arrivée des Allemands à Landrecies » et « le sauvetage de la statut de Dupleix par le maire André Bonnaire en 1914 ».

Son fils, alors adolescent, écrivit un journal qu’il intitula « Journal d’un envahi de 1914 à 1918 ». Ce document, bien conservé en mairie de Landrecies, relate la vie des civils en zone occupée. Il est émaillé de dessins de l’auteur peu avantageux pour l’occupant. Le lecteur trouvera un récit patriotique teinté de xénophobie ; il faut garder en mémoire le contexte de l’époque avec le souvenir de la défaite de la guerre contre la Prusse en 1870.

Voici donc quelques extraits de son récit :

Je vais vous relater sommairement mes impressions, mes coups, les insultes, les outrages que nous reçûmes de ces forcenés. Puis peu à peu, notre vie s’est tracée monotone, les mauvais traitements de la veille se reproduisaient le lendemain. Nous étions les sacrifiés. Et nous avons souffert sans nous plaindre, nous avons montré à l’ennemi ce qu’étaient des civils français. Nous avions faim, nous avions froid, mais nous avions confiance quand même. Si parfois, notre moral se déprimait, la vue de l’envahisseur nous remontait. Nous avons souffert, j’oserais même dire, nous avons beaucoup souffert, mais nous avons fait voir que nous étions français et que nous aussi dans notre souffrance, nous voulions avoir une légère part dans la lutte pour le triomphe de la France.

1 septembre 1914

Le canon tonne devant nous sur la Marne et derrière nous sur Maubeuge qui tient toujours. Les Boches qui sont restés en ville perquisitionnent et arrêtent encore quelques Anglais qui étaient encore cachés chez l’habitant. Ils les brutalisent et les maltraitent sans les punir. D’après des personnes bien informées (et elles sont nombreuses), l’Espagne aurait déclaré la guerre à l’Allemagne ; nouvelle probablement fausse. Par contre, nous apprenons officiellement que les Boches brûlent une centaine de maisons au Nouvion sans aucun prétexte. Le maire M. Page est fait prisonnier puis relâché ensuite moyennant une légère amende.

8 septembre

Réveil épouvantable ! Des Landreciens échappés de Maubeuge nous annoncent la prise de la ville. Le général Fournier s’est rendu avec 43 000 hommes et de nombreux canons. On parle de trahison. Cependant, il y a encore quelques coups isolés. Vers 13 heures 30, des régiments allemands venant de Maubeuge commencèrent à arriver en chantant. De nouveau, les portes volent en éclat puis les Boches s’installent, pillent, déménagent, empruntent les meubles au voisin, mangent, chantent, s’enivrent. Un second blessé anglais meurt du tétanos. Douze civils viennent de passer, encadrés par six Boches, baïonnette au canon. Va-t-on les fusiller ?

Nous ne pouvons pas en répondre car avec ces brutes !

12 septembre

De nombreux Boches passent toujours : infanterie et grosse artillerie, même deux mortiers de 42 autrichiens. Il y en a donc toujours de ces gris ! Ce sont les vainqueurs de Maubeuge, puis subitement c’est un nouveau passage, mais un repassage comme nous disons, car ils reviennent de la route de Paris : troupes exténuées, cavaliers démontés, artilleurs sans pièces avec seulement quelques chevaux. On dirait une déroute. Serait-ce notre libération ? Peut-être, car le canon tonne plus fort. Il semble se rapprocher de nous. Serait-ce pour nous le canon de la délivrance ?

C’était une partie des troupes Boches mises en déroute sur la Marne par le Général Joffre. Nous ignorâmes complètement cette victoire pendant de nombreux mois.

4 octobre

Première étape dans les réquisitions. Cinquante vaches sont enlevées aux cultivateurs et payées avec des bons de réquisitions plus ou moins valables. La ruine du pays commence. Nous voulons récrier mais c’est peine perdue. La fromagerie Colache fait aussi l’objet d’une saisie. Les Boches placardent l’ordre suivant : « par ordre du Gouverneur, vous devez livrer tous les pics, pioches étant en votre possession. Toutes contraventions à cet ordre seront punies » - lieutenant Michel

6 octobre

Une forte explosion nous fait sursauter violemment. Nous remarquons une légère fumée du côté de la voie. C’est peut-être une bombe d’avions. Les Boches nous menacent d’une contribution pour cet attentat dont ils nous rendent responsables. Comme si nous en pouvions. De nouvelles vaches nous sont réquisitionnées. Ces pauvres bêtes nous regardent d’un air triste en nous quittant. Il semble qu’elles comprennent qu’elles vont servir de nourriture aux Boches. La ruine du nord, c’est ce qu’ils veulent.

Dimanche 25 octobre

Ce matin, je suis allé à la messe. J’étais en avance ; j’ai assisté à un sermon d’un prêtre Boche qui pour la première fois disait la messe dans notre église. Mais soudain, je restais immobile. Les paroles haineuses, que ce prêtre prononçait, me touchaient au cœur. Il exhortait ses soldats au combat, pour Paris, pour Calais : «  détruisez cette France pourrie et l’Angleterre sera à notre merci… ». Je n’en écoutais pas plus et sortais, la rage au cœur, impuissant moi aussi pour leur montrer ma haine. Je me sentais bouillir devant ce Boche qui blasphémait plus que ne l’aurait fait un de leurs Junkers.

13 novembre

Trois nouvelles vaches nous sont enlevées. Le bataillon XXIX qui nous occupait part pour le front. Une nouvelle émotion vient de nous frapper droit au cœur. Une nouvelle Kommandantur est arrivée (Forstkommendantur). C’est pour la forêt. Elle arrive continuer la ruine du pays. Ils vont maintenant couper tous les arbres de notre jolie Forêt de Mormal. Adieux chênes et adieux futaies où nous aimions tant nous promener. Tout tombera sous la hache de l’envahisseur maudit. Enfin, ils nous le payeront tôt ou tard.

13 Janvier

Nouvelle imposition de 25 000F ; de nouvelles vaches nous sont enlevées. Ce qui porte à 280 bêtes le nombre enlevé depuis trois jours. Tous les noyers des particuliers viennent d’être saisis et on commence à les couper et à les expédier en Bochland. C’est dit-on pour faire du bois de fusil.

17 janvier

Nous n’avons encore reçu aucune nouvelle des nôtres de France Libre. Comme c’est long ! Les Boches nous réquisitionnent la volaille et nous obligent à porter un œuf par poule et par semaine. Quelques-uns déclarent seulement les volailles. Les prisonniers civils ont été vaccinés contre le typhus. Une vingtaine de prisonniers, grâce aux demandes de Mme Bonnaire, sont renvoyés à St-Quentin. Un des prisonniers  anglais, soigné à notre hôpital, nous envoie une carte de remerciement. Le Kommandant supprime les otages nocturnes.

16 février

Les Boches chassent Mme Bonnaire, infirmière et présidente de la Croix-Rouge, de l’hôpital. Avant-hier, un avion anglais a incendié une partie de la gare de Busigny en jetant une bombe. Des Boches sont tués dont le chef de gare. Six prisonniers civils, détenus à la Caserne Biron, ont réussi à s’évader en sautant un mur d’ancien rempart d’au moins dix mètres de haut.

5 mars

A l’occasion de la ration journalière de pain portée à 150 grammes, le maire lance la proclamation suivante : « mes chers concitoyens, depuis les premiers jours de l’occupation, la question du ravitaillement de notre ville a toujours été l’objet de la sollicitude de l’administration municipale. Grâce aux efforts persévérants et dévoués des collaborateurs qui ont bien voulu, dans ces circonstances, assumer la lourde tâche de mener à bien cette besogne, nous étions arrivés à nous assurer pendant longtemps encore la quantité de farine et de blé qui nous était nécessaire avec le rationnement à 400 grammes que, par prudence, nous avions cru nous imposer. Aujourd’hui, brusquement, l’autorité allemande impose à toutes les communes situées dans la IIe armée, comme à toute l’Allemagne du reste, une ration de pain journalière. Vous connaissez la nôtre. Je n’ai pas besoin de vous dire que nous nous organisons dès maintenant pour remédier à la triste situation qui nous est faite en nous procurant autant que possible des aliments qui pourront remplacer le pain habituel. Ayez confiance, nous y arriverons. Nous aimons à glorifier et exalter le patriotisme de nos ancêtres dont l’héroïsme a valu à notre ville la Légion d’Honneur. Nos aïeux, vous le savez, ont souffert du bombardement  de l’incendie et de la faim… Nous saurons conserver intact, pour le transmettre aux générations futures, l’héritage de gloire qui nous a été légué. Comme nos ancêtres sans préjudice de l’avenir, nous avons déjà supporté le bombardement et l’incendie ; dans quelques jours, nous saurons supporter des privations nouvelles, s’il le faut. Enfants de la noble citée, groupons-nous autour de notre drapeau et supportons vaillamment, stoïquement, sans nous plaindre, l’état de choses que l’on nous impose. Disons que nous souffrons pour la France et que, dans un avenir prochain peut-être, nous serons fiers de dire que Landrecies a encore bien mérité de la patrie et que nous sommes en droit de réclamer notre part de gloire dans ce résultat final ».  André Bonnaire

10 avril

Parmi les prisonniers civils, un poète, André Blériot, a adressé une lettre de remerciement en vers à Mme Bonnaire. « Dédié à Madame Bonnaire, dévouée protectrice des prisonniers civils de St Quentin. A notre bonne fée ».

                                  

                   Recherches faites par Mario Papa