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BOUSIES

 

 

Jean Vaillant

 

une vie de passionné

Notre territoire contient des talents, personne n’en doute ! Qui ne connait pas Jean Vaillant, de Bousies ? Evidemment, c’est le conservateur (et créateur) du Musée des Evolutions de Bousies, me direz-vous ! Mais il ne s’agirait là que d’une des facettes du personnage, la plus… « récente », et nous y reviendrons d’ailleurs. Mais avant cela, Jean Vaillant, c’est une multitude de facettes, de passions incarnées, de savoirs, « un puits de science », un érudit plus que local car connu nationalement, voire internationalement et qui a « bourlingué » dirait-on aujourd’hui. Revenons sur ce parcours long et atypique justement et rencontrons ce personnage, cette curiosité locale très attachante et sympathique.

Né en 1925, Jean Vaillant est originaire de Rumilly-en-Cambrésis (berceau familial) où son père était artisan du bâtiment. Il a « fait son lycée » à Cambrai, y a préparé le concours d’entrée à l’école normale, qu’il a décroché. Entré en pleine tourmente à l’école normale, en 1942, pour trois années et y passer le bac, Jean conserve de cette période terrible le souvenir d’avoir été « affamé à l’école normale», selon ses propres termes, alors occupée par les allemands. Avec ses camarades, logés en foyer, ils avaient institué le « droit de chariance » entre eux : le principe étant qu’à tour de rôle, chacun avait droit à son assiette pleine, « normale » pour un jeune homme en pleine force de l’âge, tandis que les sept autres se partageaient le maigre reste du plat. Il garde de cette période difficile le souvenir aussi d’avoir eu maille à partir avec l’occupant et d’avoir risqué d’être emmené à la kommandantur pour y être interrogé, ce qui n’était jamais sans conséquences, hélas !

Sorti en 1945 de l’école normale avec le bac en poche, Jean Vaillant sera affecté sur son premier poste d’instituteur à Fressies (59) dans le Cambrésis pendant deux ans. Puis, sur décision administrative, il arrive en 1947 à Colleret où il a en charge des classes du CP et CE1 et découvre la méthode pédagogique de Célestin Freinet  qu’il applique en partie. A ce sujet, Jean Vaillant est enthousiaste de rappeler la grande innovation apportée par cette pédagogie faisant place à une certaine autonomie des élèves pour savoir s’exprimer, au mode autogestionnaire avec préparation de leurs propres programmes de travail qu’elle propose, laquelle aboutira à la création de leur journal d’école par exemple. Le musée de Bousies conserve des témoignages matériels de l’application de cette « technique Freinet » comme l’imprimerie, des exemplaires de journal scolaire… (voir illustration).

 Jean poursuivra ensuite son parcours d’enseignant durant de nombreuses années à Eclaibes, avec très vite une classe unique d’enfants de quatre à quatorze ans ! Puis passant deux à trois ans à Bachant, Jean Vaillant terminera sa carrière à Aulnoye-Aymeries comme directeur d’école (avec quatorze classes) avec décharge de classe, puis une demi-décharge, d’où il partira en retraite en 1980. Toujours curieux de tout, Jean tirera sa révérence de manière originale en faisant s’envoler une montgolfière de sa fabrication pour marquer son départ vers d’autres horizons…

Et d’autres horizons, Jean Vaillant n’a pas attendu 1980 pour en découvrir ! A côté d’une vie professionnelle et familiale classique, convenue, Jean est un personnage original, avide de savoir, de connaître, de comprendre les choses qui l’entourent.

Très jeune, il a rencontré une des grandes passions de sa vie : la Préhistoire. Ayant de la famille dans l’Aisne, il a côtoyé un archéologue qui l’a initié à l’archéologie. Très vite, sous réserves de rendre compte de ses recherches, il a pu obtenir des autorisations de fouilles et en a fait une affaire de famille avec femme et enfants durant son temps libre… et aussi avec un autre érudit landrecien, en son temps président de la société historique du Nord, Jean-Louis Boucly. Ils ont essentiellement fouillé dans l’Aisne et le Pas-de-Calais. Cela a aussi permis de retrouver un gamin de dix ans qu’il avait rencontré et initié à Pont-sur-Sambre, Jean-Pierre Fagnard, devenu depuis lors président de la société préhistorique française et de nouer de nombreux contacts en Belgique.

Plus localement, Jean Vaillant a travaillé sur le seul site mésolithique connu du secteur marqué par l’apparition de l’arc (-7000 av JC), aux « basses pâtures » de Maroilles, du fait de la découverte de pointes de flèches.

Cette passion pour la Préhistoire, Jean Vaillant l’a prolongée de deux manières. D’une part, par la création du Musée des Evolution, riche de la collection paléontologique la plus importante du nord de la France qu’il a constituée au fil du temps, par échanges lors de rencontres de spécialistes, mais aussi, et surtout par acquisitions, sur ses deniers propres, au point que les réserves préhistoriques et paléontologiques du musée sont pleines aujourd’hui par manque d’espaces d’exposition. D’autre part, faute d’études supérieures spécifiques sur ces sujets, hormis une somme inégalée de savoirs acquise en autodidacte comme bon nombre de passionnés, Jean Vaillant a mis à profit sa retraite pour élargir ses connaissances et combler une frustration en s’inscrivant à l’université des sciences de Lille I et y reprendre des études comme auditeur libre durant trois ans, deux fois par semaine, en géologie et génétique !

Car notre personnage, comme déjà dit, est curieux de tout !... Géologie, paléontologie, préhistoire, archéologie… sont éventuellement des disciplines logiques entre elles, tout du moins pour Jean… mais la génétique ?! Quel rapport ?... Et bien ici encore une autre passion personnelle de Jean Vaillant : les abeilles !

Tout a commencé alors qu’il était jeune instituteur à Colleret, par la rencontre de Jean Allart, un voisin apiculteur. Jean Vaillant veut alors s’initier par curiosité et se procure ses premières ruches. Abonné à des revues spécialisées, il prend ensuite la responsabilité d’un syndicat apicole local, rencontre des figures nationales et devient ensuite, bien avant 1980, rédacteur en chef de la revue mensuelle nationale « La santé des abeilles », publication de la fédération nationale des organisations sanitaires apicoles départementales (FNOSAD) dont il sera également un temps responsable.

A ce titre, il donnera des conférences nationales, des cours d’apiculture et de « sélection » des abeilles, d’où la recherche de perfectionnement et d’approfondissement en génétique évoquée ci-avant. Jean Vaillant voyagera également beaucoup lors de congrès internationaux bisannuels : en Chine, en Pologne, en Russie, au Brésil…

Infatigable voyageur et insatiable érudit, Jean Vaillant est aussi un incessant instigateur de projets. Une des créations majeures à mettre à son actif est, comme déjà évoqué, son idée de créer un véritable musée permettant de mettre en valeur ses collections de fossiles et d’objets des industries préhistoriques tels que silex taillés, polis et autres outils primitifs… Un premier petit « musée », dans un logement d’école désaffecté, sous l’égide d’une association créée expressément, avait ainsi pu prendre forme. Mais la grande opportunité vint en 1984, avec la création et le transfert dans le musée actuel, dans l’ancien corps de ferme féodale, inhabité, qu’il put visiter par hasard et sauver d’une ruine probable à force de pugnacité, en mobilisant la DRAC et obtenant du préfet l’interdiction de démolir ce bâtiment remarquable de 1576, face aux appétits d’un géant de la distribution d’alors. Grâce aux aides mobilisées auprès des conseils général et régional, la mairie put s’en porter acquéreur et le mettre à disposition du musée pour en faire une vitrine des évolutions de l’Humanité et de la Terre, depuis les origines à nos jours, depuis la paléontologie et la préhistoire régionale à l’histoire contemporaine, en passant par le Moyen-Âge et les salles consacrées à l’artisanat rural, aux inventions des XIXème et XXème siècles, à la vie domestique et à « l’école d’autrefois », sans oublier la grange dédiée au machinisme agricole.

Ce musée, Jean Vaillant en a fait sa deuxième maison. Encore aujourd’hui, il y passe tous ses après-midis, prêt à accueillir les visiteurs, à les guider, à leur expliquer le moindre objet, le moindre fait, la moindre anecdote qui se rattache à l’histoire locale : Jean est intarissable au sujet de Marguerite de Constantinople et des seigneurs de Bousies. Ce musée, Jean le fait vivre, le promeut, le place chaque fois que possible au cœur des initiatives territoriales qui invitent tout un chacun à sortir et à se cultiver : les journées nationales d’ouverture des ateliers d’artistes pour y exposer les œuvres de peintres locaux, dont les siennes… car notre ami est aussi peintre à ses heures depuis fort longtemps ! Mais aussi, encore dernièrement, lors de la Fête de la Science, opération nationale qui cette année avait pour thème « De l’infiniment grand à l’infiniment petit » et dans laquelle Jean Vaillant s’était inscrit pour donner deux conférences très fouillées et très pédagogiques pour le grand public qui pouvait entendre de manière très compréhensible les mystères de la création de l’Univers, de la constitution de la matière et de l’origine de la vie sur Terre, en balançant sans cesse entre dimension cosmologique et particules élémentaires. Décidément, notre ami est fort impressionnant de savoirs et de qualités de vulgarisation  de tous ces savoirs accumulés.

De caractère bonhomme, simple, sociable et très ouvert, Jean Vaillant est assurément quelqu’un de formidable à côtoyer. Partageur de ses connaissances, déployant ses qualités naturelles de grand pédagogue auprès de tous les publics, Jean n’en demeure pas moins un homme modeste et conscient de la nature humaine, qui n’hésite pas à se remettre lui-même en question tous les matins devant sa glace en ayant cette formule à son égard, je cite : « Mais c’est qui ce con là ?! ». Oui, vraiment, Jean, tu comptes parmi les grands talents de notre territoire et il était essentiel qu’au travers de cet article, tous ses habitants en aient vraiment conscience et te manifestent la reconnaissance tant méritée. Pour preuve, la très prochaine consécration de ton musée, au printemps 2014, à ton nom, que tu n’as plus que le choix d’accepter, malgré tes protestations, qui ne sera qu’une juste marque de gratitude pour avoir ainsi œuvré toute une vie pour le savoir et l’édification des esprits.

 

Frédéric DAMIEN, avec l’aimable complicité de Philippe BEAUVOIS