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Le crime de l’Etoile du Nord

L’Etoile du Nord quitta la gare d’Amsterdam à 11h00. L’homme avait pris place dans le compartiment G.263 de la voiture 5. La police de Bruxelles signala sa présence dans le train à 14h00. Pas d’arrêt à la frontière avant l’arrivée du convoi prévu en gare du Nord à Paris, quai n°11. Une tempête sur la Manche balayait de ses bourrasques pluvieuses l’Avesnois. Rien de plus normal en novembre.

Si les autorités néerlandaises et belges suivaient l’itinéraire de cet homme, c’est que l’individu était dangereux, escroc et chef d’une puissante bande, connu des services de police européens sous le nom de Pietr Johannson dit Pietr le Letton. Le commissaire Jules Maigret de la 1ère brigade mobile parisienne attendait aussi son arrivée à Paris.

Dans sa voiture Pullman, Pietr avait pris le thé et lu les journaux anglais et français entre Bruxelles et la frontière. L’express roulait à 110 Km/h. Après Maubeuge, le maître d’hôtel le vit se diriger vers les lavabos.

Un homme dissimulé derrière des bagages suivit Pietr. A hauteur de la halte d’Hachette, il se précipita sur lui, tira à bout portant un coup de revolver 6 mm. Pietr s’écroula, touché mortellement à la poitrine. Un cantonnier du chemin de fer du Nord ou un Maroillais venu chercher sa marchandise à la halte aurait pu saisir la scène à travers le verre cathédrale des lavabos. Rien de cela, le meurtre resta sans témoin.

Etonnamment un quart d’heure après avoir quitté sa place dans le Pullman, Pietr regagna son siège. La gare de Landrecies défilait devant ses yeux. A Paris, Maigret le vit descendre du train pour se rendre à l’hôtel Majestic. L’instant suivant, le commissaire trouvait dans les lavabos de la voiture 5 de l’Etoile du Nord un cadavre qui fut identifié comme étant celui de Pietr le Letton ! Un sosie ?

Il faudra toute l’expérience et l’intuition du célèbre commissaire au feutre et à la pipe, Jules Maigret - commande-moi des demis et des sandwichs - pour dénouer cette affaire criminelle. Pietr le Letton est le premier roman policier de la longue série des Maigret. Georges Simenon le rédige de septembre 1929 à mai 1930 alors qu’il se trouve au nord de la Hollande, à Delfzijl. On peut donc dater fictivement le meurtre en novembre 1928.

Le 14 décembre 1922, Georges Simenon a emprunté cette même ligne ferroviaire. Il quittait définitivement Liège, sa ville natale, pour se lancer dans la littérature à Paris. Bien que familier de la ligne, il va pourtant commettre une erreur dans le roman, sans conséquence pour l’intrigue et le timing. Le train international Liège/Paris de Simenon dessert bien Maubeuge. L’Etoile du Nord, provenant de Bruxelles, évitait lui cette gare, passant par Quévy (gare frontière)/Feignies. L’un et l’autre rejoignaient ensuite le même itinéraire à partir d’Haumont.

L’Etoile du Nord à Paris - 1939

Avant la création de la SNCF en 1938, le train mythique L’Etoile du Nord, créé en mai 1927, était exploité par la Compagnie Internationale des Wagons-lits. Il donnera son nom à un film de Pierre Granier-Deferre en 1982 avec Simone Signoret et Philippe Noiret. Pietr le Letton deviendra un téléfilm pour Antenne 2 en 1972, l’acteur Jean Richard incarnant le commissaire Maigret. André Gide dira du roman : « sujet remarquable ». Simenon était plus critique : « Pietr le Letton n’était pas un chef-d’œuvre. Il n’en a pas moins marqué dans ma vie une sorte de charnière ». Dans ses mémoires intimes, il dira encore que son roman Pietr le Letton vit : « la naissance d’un certain Maigret que je ne savais pas devoir me hanter pendant tant d’années et qui allait changer ma vie de tout au tout ». Le roman paraîtra chez l’éditeur Arthème-Fayard en 1931. Pour la première fois, Simenon signera l’œuvre de son vrai nom, abandonnant son pseudonyme Sim.

Les amateurs maroillais de romans policiers auront l’année suivante leur compte de faits criminels réels. En octobre 1932, un conseiller municipal de Locquignol demeurant à Hachette, Alfred Harbonnier, 50 ans, était roué de coups au café Godet à Maroilles par un herbager du Bois Brun, Henri Gastout. Un droit de passage dans un champ et l’ivresse avaient provoqué la querelle. Après le décès d’Harbonnier le lendemain, l’irascible herbager, père de sept enfants, est arrêté et écroué à Avesnes. L’autopsie révélera la cause de la mort d’Harbonnier : une hémorragie cérébrale suite à sa chute sur la pierre de seuil de la salle de bal de Godet. Lors du procès, Henri Gastout, sapeur pompier volontaire à Maroilles, sera défendu par Me Vinois du barreau d’Avesnes. Plaidant l’état d’ébriété de l’accusé, sa repentance affichée, il obtient une condamnation de deux ans avec sursis et une série d’indemnités au bénéfice de la veuve Harbonnier, ses deux filles et ses ascendants. D’un meurtre de roman, les Maroillais étaient passés à une réalité tragique. Toujours en 1932, Simenon écrira son roman noir « La maison du canal ». Cette fois sans Jules Maigret.

Le roman de Simenon ne cite pas la halte d’Hachette ni la gare de Landrecies. C’est grâce aux détails précis apportés par le récit qu’une reconstitution a été possible. Qui a finalement exécuté Pietr le Letton ? Après bien des péripéties, Maigret arrêtera le coupable au bout de la jetée du port de Fécamp - que Georges connaît bien - où il se suicidera après ses aveux au commissaire. L’assassin, Hans Johannson, n’était autre que le frère jumeau de Pietr le Letton ! Sa ressemblance avec son frère avait permis la confusion dans les lavabos de la voiture 5 de l’Etoile du Nord. Le mobile du crime ? Pietr voulait épouser Berthe, la fiancée de Hans humilié ! De chair ou de fiction, tout homme peut basculer. Simenon/Maigret le savait bien.

Hervé Gournay - Société Historique de Maroilles

Couverture du roman
Georges Simenon
Itinéraire de l’Etoile du Nord