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LANDRECIES

LES PREMIERS JOURS DE L’OCCUPATION ALLEMANDE EN 1914

Lors de la première guerre mondiale, la région fut la scène de rudes affrontements.

Le 26 août vers 5 heures du matin, des batteries allemandes installées aux Etoquies bombardèrent Landrecies jusqu’à 7 heures 30. Vers 8 heures, trois automobiles allemandes, armées de mitrailleuses, s’avancèrent lentement, jusqu’au pont du canal et s’arrêtèrent. Ne voyant pas d’Anglais, elles allèrent chercher un détachement d’infanterie qui s’empressa de piller, au passage, les maisons de la ville basse.

Il était 9 heures, quand le pont du canal fut franchi par les premiers allemands, qui se mirent à piller les maisons de la ville,

Le même jour, à Landrecies, dès 9 heures du matin, les Allemands prenaient possession de la cité. En raison du bombardement précédent, toute la population était dans les caves. Bientôt retentirent fifres et tambours. L'armée ennemie faisait son entrée triomphale dans Landrecies, musique en tête, les soldats marchant au pas de l'oie.

 

La parade militaire terminée, les guerriers étaient libres ! Sous les chocs violents des crosses de fusils, les portes des habitations étaient défoncées. Baïonnette au canon, les soldats firent remonter les civils des caves et, bien encadrés, les dirigèrent vers l'église, tandis qu'un pillage en règle des maisons s'effectuait.

Monsieur André Bonnaire (père), maire de la ville, était chez sa sœur. Il fut emmené avec son épouse et, au milieu d'un rassemblement de civils, un officier allemand se présenta à lui en disant : «  Burgemeïster ? - Oui ! » répondit l'intéressé.

Sortant son révolver, l'officier lui ordonna de le suivre à l'église, où, déjà, se trouvaient réunies des centaines de personnes se demandant si leur dernière heure n'avait point sonné.

Le maire essaya d'imposer le silence troublé par des lamentations et des larmes. Le doyen Fournet monta en chaire et invita ses paroissiens au calme et à la prière. Les entrées de l'église étaient gardées militairement.

Un officier supérieur, casque à pointe en tête, entra dans le lieu-saint et imposa le silence à la foule en prière. Il demanda trois otages volontaires qui répondraient qu'il ne serait fait aucun mal à ses soldats. En cas d'attentat, les otages seraient fusillés !

Au milieu d'un silence impressionnant, le maire se présenta aussitôt. « Encore deux ! J'attendrai cinq minutes » dit l'officier.

Deux minutes ne s'étaient pas écoulées que M. Emile Thomas, premier adjoint, et M. Brognez, clerc de notaire, vinrent se placer aux côtés de M. Bonnaire, qui les embrassa pour leur témoigner sa reconnaissance, tandis que le doyen Fournet leur donnait sa bénédiction pour les protéger, et que les membres de leurs familles faisaient des adieux émouvants !

Encadrés de soldats allemands, baïonnette au canon, les trois otages volontaires furent emmenés dans une maison de la ville basse, près du pont du canal. Ils y furent enfermés dans une chambre pour y passer la nuit. Une heure plus tard, deux soldats français de la 145e ligne, qui avaient été faits prisonniers dans les environs, vinrent les rejoindre.

Aussitôt l'éloignement des otages, les habitants purent quitter l'église et rentrer chez eux. Les familles des trois prisonniers leur apportèrent le repas du soir. La nuit se passa sans incident et, le lendemain, tout étant resté calme dans la ville, les trois otages furent libérés, mais restaient responsables des sévices qui pourraient être faits à l'armée allemande.

Deux jours plus tard, le 28 août, des troupes allemandes traversèrent la ville, en chantant leur victoire. En passant au Faubourg de France, au carrefour des routes de Maroilles et de Prisches, elles aperçurent trois cadavres de soldats allemands, tués lors des combats, deux jours auparavant. L'un d'eux avait les yeux sortis des orbites. Aussitôt l'officier commandant la colonne donna l'ordre d'incendier le quartier limitrophe, prétendant qu'on avait, à dessein, crevé les yeux d'un militaire. La menace fut mise à exécution. Quand les maisons commencèrent à brûler, les incendiaires se répandirent dans tout le quartier.

M. André Bonnaire, prévenu du fait, se précipita au Faubourg de France, à la recherche de l'officier commandant la colonne. Quatorze maisons flambaient. Les habitants en larmes, fuyaient ces lieux de désolation. Une fumée âcre remplissait l'atmosphère. Le feu allait être mis à l'  « Hospice des Vieillards », où les religieuses, à genoux, imploraient les Allemands d'épargner leur bâtiment abritant soixante vieux et vieilles. Le maire joignit ses supplications à celles de ces saintes femmes, mais rien n'y fit, l'incendie fut ordonné.

 

Avisant un sous-officier, M. Bonnaire lui fit comprendre qu'il était le maire et demanda à être conduit devant un officier. Satisfaction lui fut donnée et sur affirmation que le cadavre n'avait pas été mutilé, mais qu'une balle lui avait fait sortir les yeux de la tête, on l'écouta. Un médecin militaire allemand étant sur place, confirma l'hypothèse émise et l'ordre d'incendier l'Hospice fut rapporté. Les hospitalisés rentrèrent dans leur établissement, alors qu'ils s'en étaient éloignés avec un maigre baluchon. Il n’en est pas moins vrai qu'une vingtaine de maisons avaient été incendiées inutilement et injustement.

Un sort identique allait être réservé à la caserne Dupleix, quand on intervint de même, en sa faveur.

Deux jours plus tard, le 30 août : nouvel incident ! Un combat entre deux avions adverses obligea l'aviateur allemand à atterrir au Grimpet, sur la route de Fontaine. Pour se remettre de son émotion, il s'approcha d'une maison, pour demander à boire, mais les habitants refusèrent de lui ouvrir. Alors, à coups de poings, il frappa dans un carreau et se blessa fortement. Avisant un officier en cantonnement, il lui affirma que des civils l'avaient blessé ! L'officier, dans une colère froide donna l'ordre de brûler le quartier et ses soldats arrêtèrent une vingtaine d'otages appelés à être fusillés si le coupable ne se dénonçait pas.

Des femmes éplorées coururent chercher le maire. Avec toute la diligence possible, il se rendit au Grimpet, avec l’espoir de rencontrer l'officier responsable. Une grange et une maison étaient déjà la proie des flammes. Arrivé à la hauteur du quartier du commandant, une sentinelle lui tira dessus et il n'eut que le temps de se mettre à l'abri d'un pan de mur, encore fumant et deux nouveaux coups de feu furent tirés. M. Bonnaire entendit les balles ricocher sur les briques. Il sortit son mouchoir et l’agita. Un sous-officier s'approcha et le conduisit à l’officier, assis dans un fauteuil, au milieu des pâtures, fumant une pipe énorme. Près de lui, gardés par quatre soldats en armes, une vingtaine d'hommes du Faubourg du Quesnoy et de la route de Fontaine, implorèrent le maire de les sauver. Le Commandant expliqua qu'un aviateur avait été blessé par un civil et que les vingt hommes seraient passés par les armes, si on ne trouvait le responsable. M. Bonnaire sollicita une enquête sur l'origine de la blessure. L'officier accepta et après examen approfondi, les otages furent relâchés, mais lui fut retenu. L'officier lui dit : « vous avez fait vaillamment votre devoir. L'aviateur s'est blessé lui-même. C'est lui qui sera puni ! ».

Le bon sens et la justice l'avaient emporté sur la fourberie et l'iniquité.

 

Mario Papa