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Histoire médiévale de l’abbaye de Maroilles par ses sceaux


L’Europe occidentale connaît une profonde mutation sociétale durant les XIe et XIIe siècles. L’explosion démographique liée à un essor économique sans précédent, rendra nécessaire la multiplication des signes d’identité : patronymes, armoiries, devises, chiffres, seings et signatures, mais aussi insignes de pèlerinage, enseignes de marchands, etc. Toutes les couches de la société médiévale seront touchées, des rois (et reines) aux paysans, également évêques, abbés, nobles, bourgeois et artisans. Mutation qui va modifier durablement les mentalités, la société au Moyen-âge évoluant d’une appartenance exclusive au groupe social (paroisse, seigneurie, ordre social) vers un individualisme encore tout relatif.
L’époque mérovingienne, qui voit la naissance de Saint Humbert, au VIIe siècle, perd la tradition latine du « tria nomina » (nom, prénom, surnom), pour préférer sous l’influence franque le nom unique de naissance. Humbert illustre cette pratique, qui, dès le XIe siècle, permettra le succès des noms de saints ou bibliques comme noms de baptême. Notre système onomastique actuel trouve son origine à partir du XIIe siècle dans les surnoms, qu’ils soient d’ordres géographiques (lieu d’habitation, de provenance), filiaux, professionnels, etc.
C’est à cette époque qu’apparaît le sceau (sigillum en latin). Mode venue de l’antiquité romaine, laïcs, clercs et collectivités s’y adonnent des XIIe au XVIe siècles. Le possesseur d’un sceau se nomme le sigillant. Il décline sur son sceau son nom, parfois en abrégé ou sous forme de monogramme, ses titres ou/et fonctions, ses armoiries à partir de 1130. L’image centrale, pour l’abbaye de Maroilles, Saint Humbert d’abord puis l’abbé lui-même, est censée renforcer la valeur du sceau, dont l’usage deviendra systématique pour valider les chartes passées entre les communautés paysannes et leur seigneur. L’iconographie se standardise rapidement, dans un souci de codification facile, pour les abbayes, le saint fondateur ou l’abbé en titre, en habits liturgiques, mitré, tenant le plus souvent les Saintes Ecritures, le Livre des Evangiles : posture coutumière des moines et curés ! L’empreinte sigillaire est donc une source importante de documentation, montrant le vêtement de nos abbés : aube, chasuble (vêtement propre aux prêtres, en tissu lourd, très ample, enfilé par-dessus l’aube, sans manche, symbole du pouvoir sacerdotale), l’étole, l’absence de coule pour les abbés maroillais (vêtement long à capuche, symbole de pauvreté, serré à la taille par une ceinture de corde en chanvre, elle, symbolisant le vœu de chasteté !). Porter la mitre si l’on est abbé et non évêque démontre ostensiblement sa puissance spirituelle et temporelle, rival déclaré du haut clergé séculier. L’abbé de Maroilles est le chef d’une puissante abbaye, et il entend que cela se sache ! En tant que supérieur d’une communauté religieuse, l’abbé de Maroilles arbore aussi la crosse, symbolisant sa fonction pastorale et son autorité spirituelle pour guider ses fidèles. La reproduction des armoiries sur les sceaux montre l’emblème de l’abbaye de Maroilles, exclusivement le cerf, miracle attribué avec force à nos saints forestiers dont saint Humbert est un représentant. Nul besoin que le paysan soit lettré, exclusivité ecclésiastique, pour les identifier à coup sûr ! La commune de Maroilles s’en emparera durablement, perpétuant ainsi le blason abbatial étudié ensuite par l’héraldique. Autre identifiant s’ajoutant aux armoiries de l’abbaye, les couleurs non reproduites sur les sceaux, et qui ont une signification précise et utile pour les blasons. Originalité, sur un sceau de 1425 attribué à l’abbé Henri IV, dit Sans-Terre, apparait à senestre, en blason, un griffon rampant (animal fabuleux, mi-aigle, mi-lion) : peut-être le blason de sa famille, placé traditionnellement à gauche sur les sceaux abbatiaux.
Le sceau en cire est fabriqué à partir d’une matrice, gravée en creux, d’un matériau allant d’un alliage cuivreux à l’argent pour les abbayes, en passant par le plomb. Les formes courantes sont en rond ou en navette (forme ogivale ou d’amande). Un contre-sceau (sceau apposé sur le tiret de parchemin reliant des lettres scellées) de 1304 porte un aigle tenant un livre dans sa serre avec la légende : Custos secreti.
Les sceaux illustrent les mondes roman et gothique, au même titre que l’architecture ou les vitraux.
Les sceaux de l’abbaye de Maroilles. Ils sont au nombre de 9, conservés aux Archives Nationales ou départementales. Voici quelques exemples :

Le plus ancien date du XIIe siècle. Conservé aux Archives départementales du Nord, il a servi à valider un faux acte confirmant les privilèges de l’évêque de Cambrai Rothard (alors en charge de l’abbaye) sur une forêt allant de Saulzoir à la Sambre, censé être passé en 995 par Otton III, roi de Germanie. Otton III tient le sceptre royal et l’univers.
L’autre sceau de l’abbaye du XIIe date précisément de 1162. L’évolution iconographique va être saisissante par rapport aux suivants. Il est rond, en cuvette, mesure 52 mm. Saint Humbert (figure primitive) y est représenté à mi-corps, de profil à droite, tête nue, tenant sa crosse de biais (à la façon du bâton pastoral) et le Livre Saint. Inscription latine en cercle : Signum Sancti Humberti Coulensis. Le sceau a servi lors d’une cession de menues dîmes à Fuschaux (FUSTOITH).
Le suivant date de 1288. Ogival, il mesure 57 mm. Il représente un personnage debout, Saint Humbert (perception du visage du saint très différente en un siècle), figuré désormais en habit de moine (aube jusqu’au pied, chasuble, amict (rectangle de toile au cou), portant mitre cornue (dualité entre Ancien et Nouveau Testament), crossé (volute plus riche), bénissant (index et majeur levé). Au-dessous, un cerf passant. C’est la première apparition de l’animal représentant Saint Humbert, qui illustrera les armoiries de l’abbaye. Inscription latine : Sigillum Sancti Humberti Maricolensis. Le sceau confirma une transaction au sujet de la haute justice de Maroilles.
Datant de 1299, ce sceau ogival mesure 52 mm. Il y apparaît pour la première fois le buste de l’abbé et non plus la représentation de Saint Humbert. L’abbé dans sa fonction s’affirme supérieur à l’appartenance au groupe, les moines de l’abbaye notamment. L’abbé est debout, de trois-quarts, tête nue tonsurée, crossé, tenant les Evangiles. L’inscription, Sigillum Walteri, abbatis Maricolensis, désigne le nom de l’abbé (Walter = Gautier, abbé de Maroilles). Il est utilisé lors d’une requête à Jean d’Avesnes, comte de Hainaut, pour confirmer l’assignation d’une rente sur les dîmes et terrages d’Englefontaine.
Ce sceau montre Jean Gosselet, abbé de Maroilles, le 25 juin 1495. Ogival, il mesure 65 mm. Dans une niche gothique, l’abbé est debout, tête nue tonsurée, crossé, tenant les Evangiles, accompagné de deux anges (c’est alors la mode) tenant chacun un écu, celui de dextre au cerf passant, celui de senestre au rencontre de cerf au lambel. Inscription : Sigillum Johannis, Dei Gratia abbatis de Maricolis. Il cautionne la fondation de l’obit d’une ferme de Maximilien, archiduc d’Autriche.
Le culte marial est vivace à Maroilles. Déjà en 1288, un sceau de l’abbaye porte une fleur de lys, symbole du culte à la Vierge. Ce sceau du XVIe siècle montre une Vierge debout avec l’enfant Jésus. Rond, mesurant 25 mm, Notre-Dame de Maroilles est couronnée. Inscription : Sigilum Sancti Marie de Maricolis.
Par ses sceaux, l’abbaye de Maroilles montre son implication dans la vie de son temps.
Août 2011 - Hervé Gournay de la Société Historique de Maroilles
La Société Historique de Maroilles publie un ouvrage :
Maroilles 14/18 – Soldats de la Grande Guerre – Recueil de textes – Tome 1
Paru en juin 2011, ce livre relié de 480 pages est vendu au prix public de 20 €.
Renseignements et achat chez Hervé Gournay, 171 Grand’rue à Maroilles – Tél 0327777667.