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Maroilles la républicaine
De l’adoption des idées révolutionnaires de 1789 à l’enracinement de l’idéal démocratique porté par la République, Maroilles, jusque 1914, passe pour un bastion républicain. A la fin des années 1880, au moment où la France entière est séduite par le mirage césarien du Général Georges Boulanger, Maroilles sera une des rares communes à voter en majorité pour les candidats républicains lors des élections législatives de 1888.
15 avril 1888 : élections législatives partielles dans le département du Nord
La crise économique, qui frappe la France depuis 1882, accentue les difficultés sociales, la montée de l’antiparlementarisme et l’évolution du nationalisme. La « République des Jules », Jules Grévy président de la République depuis 1879, Jules Ferry son ministre de l’instruction publique, accumule les mécontentements et les scandales politiques. Monarchistes, bonapartistes et conservateurs cléricaux se prennent alors à rêver le renversement de la 3e République proclamée seulement depuis 1870.
Dans ce contexte d’instabilité politique, le gouvernement nomme en 1886 le général Georges Boulanger au ministère de la guerre. Ce familier de Georges Clémenceau va s’y tailler une solide popularité grâce à sa prestance, à ses mesures améliorant l’ordinaire du troupier et surtout à sa palinodie politique, à la fois monarchiste, bonapartiste et républicaine ! De l’extrême droite à l’extrême gauche, il va rallier les nombreux mécontents. Surnommé le « brav’ général », mais « comme homme, une nullité » pour la révolutionnaire Louise Michel, il perd en mai 1887 son poste avec la chute du ministère qui l’a institué. Après la démission forcée de Grévy, Sadi Carnot, élu président en décembre 1887, va persécuter le fringant général, pour finir par le mettre en retraite. Erreur politique, puisque à ce jour, il devient éligible alors qu’il ne pouvait briguer de mandat électif en tant qu’officier de l’armée. Le décès de Brame, député bonapartiste du Nord, provoque une élection partielle le 15 avril 1888. Georges Boulanger est candidat

Une campagne électorale houleuse
Témoin des évènements, Maxime Lecomte, député de l’Union Républicaine du Nord depuis 1884, natif de Bavay, les rapporte dans un livre « Le Boulangisme dans le Nord ». Trois candidats s’affrontent, Georges Boulanger, Paul Foucart, avocat à Valenciennes, républicain radical soutenu par L’Observateur, et Emile Moreau, républicain socialiste de Roubaix, conseiller général. Les programmes des candidats s’opposent sur la nécessité ou non de dissoudre le parlement et de réviser la constitution de 1875. Boulanger, visant un pouvoir personnel la souhaite, les deux autres s’y opposant au nom de la démocratie.
La semaine précédant les élections, des réunions publiques sont organisées dans les villes nordistes, Hautmont, Avesnes-sur-Helpe et Landrecies notamment. L’activisme boulangiste dans les campagnes, pose d’affiches, cadeau de jeux de cartes des 4 as (Boulanger en roi de carreau), provoque des tensions lors des meetings politiques. Les incidents se multiplient. A Avesnes, Henri Rochefort fils, boulangiste, soufflète le républicain Fieulaine ; un duel s’ensuit à Paris. A Landrecies, le 13 avril, rapporte le journal boulangiste La Lanterne, les Boulangistes Lehérissé et Laur, député de la Loire, sont empêchés de parler par les républicains de la ville et des environs. Les manifestants républicains maroillais, nombreux, tiennent leur place dans le tumulte. L’Agence Havas, le Figaro, Le Petit Journal et L’Illustration, médias parisiens, rapportent les faits. Un juge de paix nommé Cordier aurait donné le signal de l’émeute avec un sifflet. Manœuvre électoraliste des Boulangistes ? Oui si l’on en croit Maxime Lecomte, présent, qui n’a rien vu. Des protestataires ont bien retardé la réunion d’une heure, rien de plus. Laur pourra même en public vouer aux gémonies les agitateurs républicains. On est loin du tumulte dénoncé par les Boulangistes. Le général Boulanger, lui, n’a pas daigné faire le déplacement dans le département.

Maroilles ne vote pas Boulanger
Le résultat de l’élection au lendemain du dimanche 15 avril est sans appel : sur les 365977 inscrits sur les listes nordistes, 268764 électeurs ont voté, 172796 pour le général Boulanger, Paul Foucart recueillant 75706 voix, Emile Moreau 9724. Dans l’arrondissement d’Avesnes, seule une dizaine de communes n’ont pas donné la majorité au général. Le canton de Landrecies élit Boulanger par 1838 voix contre 1304 à Foucart et 177 à Moreau. Majorité pour Boulanger dans toutes les communes sauf une : Maroilles qui donne ses suffrages aux républicains, Foucart avec 217 voix, et 120 à Moreau, les 2/3 du total sur le canton. Boulanger ne recueille que 82 votes. Là encore le résultat est sans appel, Maroilles n’a aucune sympathie pour le politicien populiste et ses partisans qui visaient une dictature. En cela, les Maroillais avaient écouté l’éditorialiste de L’Observateur qui avertissait : « nous voulons faire toucher du doigt les dangers, les périls de la dictature. Votons pour les candidats républicains ! Votons pour M. Foucart ! ». Après la démission de Boulanger en juillet, les électeurs sont à nouveau convoqués aux urnes en août. A nouveau candidat, il sera réélu, Maroilles ne donnant plus à Boulanger que 35 votes contre plus de 320 au candidat républicain. Le 22 septembre 1889, les partisans du général essuieront une défaite lors des élections législatives générales provoquant l’effondrement du Boulangisme. Maroilles cette fois n’accordera plus que 42 suffrages au candidat boulangiste, préférant le notaire républicain Eliez Evrard.

Monument Maxime Lecomte à Bavay

Incapable d’un coup d’état, inquiété par le gouvernement, le général Boulanger s’enfuit à Bruxelles le 1er avril 1889. Il se suicidera sur la tombe de sa maîtresse au cimetière d’Ixelles le 30 septembre 1891. Clémenceau dira de lui qu’ « il est mort comme il a vécu, en sous-lieutenant ». Un mirage politique qui ne réussit jamais à abuser Maroilles la Républicaine !

Hervé Gournay