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Quand un abbé de Maroilles s’invite au Favril !


En début d’année 1983, lors de travaux de voirie sur la route de Prisches (actuelle RD 964), au lieu-dit le Grand Debout, une pelle de chantier remuait une grosse pierre qui jusqu’ici servait aux piétons à franchir le fossé desservant l’habitation de la ferme alors exploitée par M. Plateau au n°52. Cette trouvaille, à priori banale, se révéla d’un intérêt majeur dans le secteur, à tel point que le grand érudit local Jean-Louis Boucly (†) fut appelé en urgence pour aider à identifier cette curiosité. En effet, ce n’était rien moins qu’une superbe dalle armoriée dont la face (tournée contre terre) splendidement sculptée en ronde bosse dévoilait les armoiries intactes d’un abbé de Maroilles, facilement identifiables par la mitre et la crosse abbatiales qui les surplombaient.
Mais quel était cet abbé ? Le blason, « Écartelé aux 1 et 4 d'or (jaune) à trois maillets de sable (noir) et aux 2 et 3 cinq points d'or équipollés de quatre de sable », contrairement aux premières analyses mentionnées dans l’article consacré par La Voix du Nord du 1er février 1983, ne concerne pas l’abbé Nicolas III de la Croix, abbé de Maroilles de 1620 à 1627, mais l’un de ses successeurs, Pierre V Tacquenier (1670-1698). Nous allons nous arrêter quelque peu sur ce personnage remarquable.

Originaire de Mons, il avait déjà 50 ans lorsqu’il accéda en 1670 à l’abbatiat après le décès de son prédécesseur le 24 décembre 1669 Alexandre III de Brissy (1645-1669). Appelé par les religieux de l’abbaye de Maroilles dont il était membre depuis déjà 26 ans, il en fut surtout le premier abbé nommé par le roi de France, Louis XIV en personne, après le rattachement de cette partie du Hainaut à la France par le traité des Pyrénées (1659). L’archevêché de Cambrai étant vacant à cette période, ce fut l’évêque de Saint-Omer qui le bénit en cette fonction. A noter que l’accès à cette dignité était assorti du paiement imposé par le gouvernement français de 800 livres de pensions viagères et de 1 000 florins de pensions perpétuelles dont même le pape ne put le dispenser.
L’abbé Pierre Tacquenier bénéficiait de l’estime et de la confiance de tous ses condisciples dont il perfectionna les mœurs et la stricte observance des règles monacales. Il se trouvait à la tête d’une abbaye fortement endettée et dut se livrer à de nombreux travaux de restauration des fermes de l’abbaye (cense du Parc à Noyelles, cense de la Motte à Louvignies-Quesnoy, cense de Sagnière…) endommagées par le temps, les guerres et l’imprévoyance de certains de ses prédécesseurs. Il fit recouvrir à neuf tous les bâtiments conventuels, reconstruire le clocher ruiné de l’église abbatiale qu’il profita également d’embellir et de décorer et dota le service divin d’objets de culte précieux et dignes.
Sous son abbatiat, les querelles incessantes des habitants de Taisnières avec l’abbaye s’exacerbèrent encore davantage et donnèrent lieu à des procès dont l’issue fut favorable aux premiers (1687 - pâture du moulin, dite de Ste-Catherine) ou à la seconde (1688 - vente annuelle des herbes des warechaix et autres biens communaux). L’abbaye consentit également un subside « volontaire » de 12 000 livres au roi de France en 1693 pour subvenir aux dépenses de guerre de Louis XIV. Par comparaison, les abbayes de Liessies et d’Hautmont consentirent réciproquement 9 000 et 3 000 livres.
Doué de sagesse, de prudence, de dignité et de toutes les vertus désirables pour un chef de maison religieuse, l’Abbé Tacquenier mourut le 14 juillet 1698 dans l’estime et l’affection générales. Sa devise : Sustine et abstine (Soutenez-vous et abstenez-vous).
 
Probablement enterré dans l’église abbatiale, la lame funéraire retrouvée à Le Favril constitue selon toute vraisemblance une des traces conservées mais dispersées des richesses et des matériaux qui constituaient l’abbaye et que la vente au titre des biens nationaux aura disséminée ici et là au gré des intérêts. Aujourd’hui protégée et mise en valeur dans l’église du village de Le Favril, cette pierre monumentale (150 cm x 99 cm) demeure le dernier vestige matériel dédié au repos éternel de ce grand abbé maroillais que Le Favril eut à connaître.
Frédéric Damien