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La présence de saint Druon à Le Favril et dans l'Avesnois

Il est une chapelle à Le Favril, chemin de la Sablière, à l'extrême limite de la commune avec Prisches, qui un jour, lors d'une promenade à pied, m'a interpellé par la présence en son intérieur d'une statue en plâtre de saint Druan (sic) et de facture remontant probablement à la fin du XIXème siècle. En soi rien d'étonnant si ce n'est qu'elle voisine avec un saint Urbain et plusieurs objets liturgiques ou de culte marial et dont la présence sur le territoire de l'Avesnois m'amenait à m'interroger sur la dévotion de ce saint en pays aujourd'hui de tradition d'élevage essentiellement bovin. Interrogés sur l'origine de cette statue dans cette chapelle, l'arrière-petite fille du fondateur de cette chapelle datée de 1897, Mme Marie-José Collery et son père Mr Baudet, qui n'en ont plus la propriété mais continuent avec l'accord des héritiers du propriétaire actuel de la parcelle, Mr Hédon de Landrecies, à la visiter et l'entretenir régulièrement, n'ont pas su m'en expliquer les raisons. Cette chapelle dédiée à Notre-Dame des Victoires, avec comme dédicace de ses constructeurs BG (B pour Brunehaut, nom de la grand-mère de feue Mme Baudet), fut érigée après avoir gagné un procès... d'où son nom! Cela dit, les origines terriennes et agricoles des fondateurs de cette chapelle sont indéniables et l'explication de saint Druon paraît aisée à établir.

En effet, pour qui ne connaît pas ce saint régional, il faut savoir qu'il est le saint patron des bergers comme saint Eloi l'est pour les agriculteurs.

Mais qui était saint Druon que si peu de personnes connaissent encore de nos jours ? Il ne s'agit pourtant pas d'un saint légendaire ou encore trop ancien remontant à l'ère d'évangélisation de nos contrées sous les rois mérovingiens, mais bien d'un personnage historique, attesté, du XIIème siècle.

 

Natif d'Epinoy (commune de Carvin-62) vers 1118, il était orphelin de père et sa mère mourut en couches selon sa légende hagiographique qui retient qu'il naquit de ce fait par césarienne. Dès lors, raillé par ses camarades, il se complut très jeune à la mortification de l'âme et du corps en signe d'expiation et finit par s'expatrier en Hainaut, à Sebourg, où il se mit au service des habitants comme pâtre pendant 6 ans. Non content de se  résigner à une existence modeste, il en finira, selon les récits, par attraper une hernie qui le contraignit alors à la sédentarité après avoir effectué à 9 reprises le pélerinage vers Rome. De ce fait, saint Druon se fit construire une cabane adossée à l'église de Sebourg où il se mit à vivre en reclus, exclusivement tourné vers la dévotion, l'isolement des choses terrestres et l'assistance aux gens qui venaient chercher son intercession dans ses prières contre nourriture. Un épisode miraculeux survint même vers la fin de sa vie alors que l'église brûla entièrement et qu'il en sortit indemne, retrouvé en prière par une population inquiète de son sort. Fort affaibli par sa hernie, l'absence de soins, la vie d'ascète qu'il menait toujours avec autant de ferveur à un âge si avancé alors pour l'époque, saint Druon mourut à Sebourg le mercredi de Pâques 1186, le 16 avril, selon les écrits des savants bollandistes unanimement reconnus au XVIIème siècle. Pure coïncidence, ce même 16 avril correspondra aussi plus tard à la fête de saint Benoît-Joseph Labre, figure régionale de Amettes (62) qui aura une existence assez proche de saint Druon, connu pour sa vie d'humble pèlerin et assistant des pauvres à Rome au XVIIIème siècle.

Après son décès, les écrits relatifs à saint Druon retiendront de nombreux miracles survenus à Sebourg dont ont bénéficié d'illustres personnages tel le comte de Hainaut Jean d'Avesnes (1280-1304) venu chercher son intercession sur le lieu de sa sépulture pour se soigner de la pierre (calculs) qui l'accablait.

Très vite la notoriété de saint Druon, guérisseur des « maladies de ventre » (hernies, calculs...) en lien avec l'affection dont il souffrit lui-même, puis par extension pour l'heureuse délivrance des mères enceintes, en lien avec sa propre naissance, firent affluer à Sebourg des foules de fidèles venus chercher la guérison miraculeuse ou la simple intervention divine par l'entremise de saint Druon en se recommandant dans des prières qui lui étaient dédiées. Dès 1210, une première charte de partage des offrandes faites à saint Druon par les pèlerins entre le seigneur de Sebourg et le chapitre métropolitain de Cambrai réglait le différend qui opposait déjà les parties intéressées par cet afflux important de numéraire sur le territoire du village par l'explosion du culte populaire qui apparut massivement et spontanément. Une partie devait d'ailleurs servir à la poursuite de la reconstruction de l'église incendiée quelques décennies plus tôt et dont nous retrouvons actuellement quelques témoignages architecturaux datés de cette époque. Saint Druon ne connut jamais de procès en canonisation tel que nous le connaissons aujourd'hui puisque la procédure ne fut définitivement fixée que plus tard par le pape Benoît XIV au XVIIIème siècle. La vox populi avait bien souvent l'initiative, l'antériorité sur l'Eglise qui se cantonnait a posteriori à « officialiser » le culte dès lors que la pratique de dévotion se répandait, afin de canaliser les formes de vénération et de les « christianiser ». Ce n'est donc qu'en 1612, en pleine Contre-Réforme catholique, qu'eût lieu la cérémonie « d'élévation des reliques » de saint Druon, par l'archevêque de Cambrai Jean Richardot en personne. Cette cérémonie avait pour but de reconnaître officiellement le culte de saint Druon par l'Eglise en exhumant les ossements du saint pour les consacrer sur l'autel puis les placer dans une châsse qui pourrait contribuer encore davantage à la vénération et à la diffusion-exportation de son culte par la pratique de dissémination de reliques en d'autres sanctuaires (Epinoy, Roucourt près de Douai, Clary, Maroilles, Lille, Allaines et Cottenchy dans la Somme, Froissy dans l'Oise, Warmeriville dans la Marne...).

 

Ainsi, au fil du temps, de nombreuses formes de vénération de saint Druon sont apparues (pèlerinages, processions, patronage des bergers, invocation pour les maladies de ventre et par la suite pour les animaux, création de confréries, prières...) et de multiples traces tangibles (chapelles, oratoires, statues, reliques, médailles, drapelets de pèlerinage, ex-votos...) de son culte ont pu être recensées localement, régionalement mais aussi hors région (Aisne, Ardennes, Marne, Haute-Marne, Oise, Seine-Maritime, Somme), et à l'étranger, dans les anciens Pays-Bas bourguignons (Belgique et Pays-Bas).

Pour en revenir à la présence du culte et de la vénération de saint Druon dans notre Avesnois, il apparaît après recherches que celui-ci était assez connu, notamment et probablement du fait de son statut de saint patron des bergers qui étaient beaucoup plus présents dans nos contrées à l'époque où le bovin n'avait pas encore supplanté en nombre le mouton.

Un petit travail d'inventaire (vraisemblablement non exhaustif) des traces de saint Druon chez nous pourra vous en convaincre, sachant que sur le territoire de la 2C2M, seuls Le Favril et Maroilles gardent des traces de saint Druon :

- chapelles ou oratoires en pierre bleue dédiées à saint Druon: Le Favril à « La Boufflette », Prisches (2, dont une datée de 1737), Cartignies (datée de 1687), Petit-Fayt, Dompierre-sur-Helpe (datée de 1815), Ors (datée de 1891), Floyon, Etroeungt (datée de 1809), Glageon (datée de 1740), Maubeuge au faubourg de Mons ;

- statues ou statuettes représentant saint Druon: Prisches (dans l'église), Neuville-en-Avesnois (datée XVIIème siècle), Sars-Poteries (datée XVIIIème siècle), Obies, Anor ;

- relique de saint Druon: Maroilles, suite élévation des reliques de 1612 vue ci-avant, mais restituée à Sebourg en 1884 ;

- mentions toponymiques de chemins ou ruelles, bien souvent disparues aujourd'hui dans l'usage, mais qui attestent des voies de circulation qu'empruntaient les pèlerins vers Sebourg: Hestrud, Jenlain, Ruesnes, Sepmeries.

Amis lecteurs, si vous avez connaissance de toute autre trace de saint Druon qui ne serait pas reprise dans l'inventaire ci-dessus, soyez aimables de me le communiquer en vous adressant en mairie de Le Favril afin que cette étude personnelle puisse être complétée. Merci.

 

Frédéric DAMIEN

Drapelet de pèlerinage en papier tel que les fidèles l'achetaient à Sebourg en se rendant auprès de saint Druon et l'arboraient en procession ou l'exposaient en rentrant chez eux (XIXème siècle). Au centre saint Druon représenté selon l'iconographie traditionnelle du berger avec chapeau, houppelande et houlette et entouré de son chien et de ses moutons. En arrière-plan, l'église de Sebourg facilement reconnaissable sur son promontoire vers laquelle s'acheminent des pèlerins, infirmes pour certains et une procession dirigée par des prêtres. Dans le tour du cadre, ex-votos laissés par des fidèles guéris (harnais herniaires, béquilles, calculs, prothèses...).