aa

Landrecies
La verrerie

C’est avec une évocation de la verrerie de Landrecies qu’ont été lancées, au printemps dernier, les Muséofolies : la marelle de la verrerie fut l’occasion, pour les participants, de découvrir ou de redécouvrir, à travers objets, jeux, récits et reconstitutions, la vie de celles et ceux qui y ont travaillé. Le succès rencontré par cette manifestation montre combien cette entreprise est restée présente dans la mémoire et dans le cœur des Landreciens, à quel point elle fait partie de notre patrimoine. Il est donc bien légitime de se pencher sur son histoire…
C’est une histoire longue de presque deux siècles, puisque c’est aux alentours de 1802 que la verrerie fut créée, dans le quartier du Sambreton. A l’époque, de nombreux éléments en faisaient un endroit idéal, parmi lesquels l’absence de concurrence à proximité pour la production choisie (les bouteilles en verre noir), l’existence de sablières à Landrecies et dans les villages proches, la possibilité d’utiliser comme fondant la potasse issue des cendres de fougères ou de hêtres de la forêt de Mormal puis la création en 1812, à Chauny, près de St-Quentin, d’une usine productrice de soude, qui remplaça la potasse… sans oublier l’existence de nombreux bois aujourd’hui disparus (à Bousies, Fontaine-au-Bois…) fournissant en partie le combustible nécessaire (bois et charbon de bois, la forêt de Mormal étant, ici encore, mise à contribution) et le fait que Landrecies se situait sur une route importante et nouvellement élargie : celle de Valenciennes à St-Quentin.
La fabrication de bouteilles dura au moins jusqu’en 1855. Un bon souffleur en fabriquait 400 par jour. La plupart des verriers venaient de Belgique : citons la famille Falleur, issue de Martin Falleur, d’origine allemande et devenu « gentilhomme de verrerie » en 1723. A partir de 1854, la fabrication de verre à vitre prit le relais. Le verre à vitre était obtenu par le procédé des cylindres : on fabriquait d’abord une bonbonne dont on enlevait le culot puis que l’on fendait pour ensuite en dérouler la matière dans un four à retendre.
La verrerie fut rachetée en 1867 par Antoine-Joseph Larose et son fils Zéphir-Paulin. Celui-ci prit une décision radicale : il transforma profondément l’entreprise en en faisant une cristallerie et gobeleterie. Il procéda à de nombreuses embauches, faisant venir des spécialistes de la région de Fourmies, de Belgique et même de Hollande. L’effectif doubla rapidement et, pour loger son personnel, il fit construire, en 1876-1877, le « coron rouge » qui s’ajouta au « coron blanc », déjà existant. On lui doit une autre construction, réservée, celle-ci, à son propre usage : le « château », édifié en 1877-1878.
La production se diversifia beaucoup dans les années 1880, avec la création d’opalines et d’objets en verre de couleur. A cette époque les verriers commencèrent à profiter de leur temps de pause pour réaliser ces véritables chefs-d’œuvre qu’on appelle « bousillés » : cygnes, poissons, chevaux, sabres et cannes témoignent encore aujourd’hui de leur talent et de leur savoir-faire.
La vie n’était pourtant pas facile pour les travailleurs. Il faut dire que beaucoup commençaient leur carrière dès l’enfance… une enfance volée, consacrée au dur labeur, marquée par la violence : selon le témoignage d’Auguste Vandermesche, qui entra à la verrerie en 1903 alors qu’il avait 8 ans, les enfants étaient considérés comme des servants et battus en cas de maladresse… Une enfance privée, la plupart du temps et malgré la loi, d’accès à l’école : « A quoi cela sert-il d’apprendre à lire à ces gens-là ? » disait la patronne. Parfois un inspecteur se présentait, alors les enfants devaient se cacher dans les caves. Au début du XXème siècle, la verrerie comptait 30 à 40 enfants pour 120 ouvriers.
Heureusement, la solidarité et les liens de parenté firent du personnel une grande famille… une famille aimant se réunir, le 15 août, pour fêter la saint Laurent à travers un apéritif-concert, un repas, une ducasse et un bal. Avec le temps, les conditions de travail évoluèrent et la plupart des personnes qui ont connu la verrerie dans la deuxième moitié du XXème siècle y repensent avec nostalgie…
Pol Lionne, Maître de verrerie à Charleville, prit les commandes de l’entreprise en 1909. Après la guerre, il se tourna vers la production de verrerie électrique. Pierre Lionne lui succéda en 1936. Il fut rejoint par Gaston Roland, grossiste en arts du feu à Marly-les-Valenciennes, qui fit venir Emile Godrie de Boussu, en Belgique : celui-ci devint directeur technique. Puis Pierre Lionne embaucha Alphonse Dufrane en 1954 comme directeur commercial.
Suite, notamment, au décès de Pierre Lionne en 1957, la société Lionne et Cie laissa place à la société SONOVERA, dirigée par Alphonse Dufrane. Une société dédoublée, avec une partie créant les verres et une autre se chargeant de la décoration. Cette société résista durant deux décennies aux verreries entièrement mécanisées…

Les verriers en 1982

Au début des années 1980, elle employait encore 70 personnes et on y travaillait encore le verre à la canne.  La verrerie produisait environ 3000 verres par jour, selon le processus suivant :

            En 1980, Francis Roussel devint gestionnaire de l’entreprise. Mais un conflit concernant la situation financière de celle-ci l’opposa très rapidement à Alphonse Dufrane. Finalement, en 1984, le tribunal d’Avesnes prononça la liquidation des biens de la société. La verrerie disparaissait. Il nous reste aujourd’hui d’elle les productions, les témoignages, les souvenirs…

Philippe Mézière

Indications bibliographiques :