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LE FAVRIL

MERCI MAURICE BRUIT, ENFANT DU PAYS

Le 11 novembre 2008, la cérémonie de commémoration de l’armistice de la 1ère guerre mondiale résonnait d’une tonalité toute particulière à Le Favril… Certes la France marquait le 90ème anniversaire de l’armistice et venait de perdre son dernier poilu survivant le 12 mars, Lazare Ponticcelli, âgé de 110 ans (né le 7 décembre 1897) d’origine italienne. Mais le village mettait particulièrement à l’honneur un enfant du pays, Maurice Bruit, né le 20 septembre 1885 à Le Favril et y décédé à 86 ans le 15 novembre 1971 après s’être marié en 1922 à Prisches, avoir eu 2 filles, Thérèse et Marguerite, et assuré une large descendance.
Car Maurice Bruit n’était pas n’importe qui ! Dernier charron du village, homme respectable et respecté de tous, il était revenu vivant de 52 mois d’indicibles épreuves. Et comme dans de nombreuses familles, il incarnait le grand-père ou l’arrière-grand-père qui a accompli son devoir en 14-18 et a laissé de nombreux souvenirs tels qu’on les trouve parfois dans les greniers ou dans les tiroirs, notamment des témoignages, des carnets de combattants ou des correspondances. Sa fille, Thérèse Liénard (†) de Le Favril, avait précieusement conservé par-devers elle 2 des 4 carnets - contenant plus de 70 dessins au fusain ou aquarellés - que j’ai eu l’honneur et le plaisir un jour de me faire dévoiler, sortis d’un vieux papier de journal jauni méticuleusement ficelé, que son père avait ramené de la guerre en témoignage des années passées au front.
Maurice Bruit avait appris le dessin au contact d’un camarade d’infortune, prix de Rome, pour lequel il révéla un don certain et une réelle prédisposition. Ses carnets l’accompagnaient partout dans ses déplacements et moments de répit. Car Maurice Bruit a, comme toutes les troupes, tous les régiments engagés dans la « grande guerre », été de tous les théâtres d’opérations.

 

Dessin réalisé par Maurice Bruit : lettre dans la tranchée - 4 avril 1915

De la classe 1905, il avait effectué ses 2 ans d’instruction au 148ème RI de Givet neuf ans avant d’être incorporé au 306ème RI de Châlons/Marne début août 1914 lors de la mobilisation générale. De là, dès le 11 août 1914, il partait pour le Nord et la Belgique en passant vers Fourmies le 22… à quelques 40 kilomètres de chez lui ! Très vite reflué vers la France au gré des mouvements d’unités et des fronts d’une joyeuse « guerre-éclair » qui en quelques mois s’enlisa longuement dans les tranchées, Maurice Bruit stationna d’abord dans l’Aisne (Moussy/Aisne, Verneuil, Bourg-et-Comin…) comme l’illustrent ses dessins. En mai 1916, après avoir été blessé à la tête par un éclat d’obus en février, le caporal-chef Bruit part pour Verdun et Douaumont. 1916 : année de Verdun et de son presque 1 million de victimes des 2 côtés. En 1917, il revient dans l’Aisne et poursuit la guerre encore et toujours…
14-18, de la guerre de mouvement à la guerre de position, qui mue le fantassin en espèce de troglodyte, protégé par d’inextricables réseaux de barbelés, Maurice Bruit en aura connu la morne tristesse qui parfois empreint les cœurs : résignation, courage, abnégation sont les sentiments qui permettent de tenir jour et nuit dans le cloaque des tranchées. La mort, les poux, la pluie, la boue ou la chaleur sont le terrible cauchemar de cette interminable guerre où le « poilu », fantassin finalement résigné à se laisser pousser la barbe, aura été le héros des vaines offensives dès 1915 en Champagne, Picardie, Artois coûteuses en vie humaines et véritable enfer pour les troupes envoyées dans les batailles de la Marne, de la Somme, du Chemin des Dames, de Verdun... autant de noms terribles qui jettent l’effroi.

 

Dessin réalisé par Maurice Bruit : Un coin de Calmoutier

(près de Vesoul) - 4 juillet 1917

Si la France a été, avec 14-18, le pays le plus touché proportionnellement à sa population avec 1,4 million de morts et de disparus, 3,5 millions de blessés, plus d’1 million d’orphelins pris en charge dès 1917 par l’œuvre des Pupilles de la Nation, ce sont plus de 9 millions de morts en tout, 17 millions de blessés et plus de 6 millions d’orphelins de guerre dans les deux camps. Mais ce qui frappe dans les dessins de Maurice Bruit, c’est l’absence totale de scènes de guerre, de corps mutilés ou de sang : ils représentent toujours les moments de repos dans les tranchées ou les cantonnements, les paysages des pays de stationnement, les bâtiments ou villages dévastés, les camarades d’armes… presque à l’instar de cartes postales envoyées en souvenir de vacances à des proches! C’était d’ailleurs aussi l’objectif recherché chez Maurice Bruit que de témoigner lors de son retour de ce qu’il avait vu, vécu et traversé.
Lorsque 506 000 prisonniers de guerre rentrent chez eux après novembre 1918, que le pays découvre l’ampleur des pertes et destructions et le traumatisme subis par la nation, partout nous verrons s’ériger les « monuments aux morts » dans les communes et s’instaurer la commémoration de l’armistice tant attendu. Le président du conseil en 1918, Georges Clémenceau, déclara : « Nous avons gagné la guerre, il va falloir maintenant gagner la paix ». La prétendue paix imposée par la France au Traité de Versailles en 1919, la « paix boiteuse », ressentie comme honteuse outre-Rhin eut raison 20 ans plus tard des espoirs mis en la « Der des der ».
L’effort de mémoire permanent pour apprendre aux plus jeunes et rappeler aux plus âgés ce que fut cette épouvantable tragédie doit continuer en commémorant les armistices et pour que l’histoire ne se répète pas. C’est pourquoi le 11 novembre 2008, Le Favril honorait Maurice Bruit en exposant, en présence de ses descendants, les dessins de leur aïeul revenu de la Grande guerre. Les enfants des écoles du village offrirent ensuite au regard d’une nombreuse assemblée les réalisations très abouties de travaux accomplis en ateliers d’arts plastiques figurant les tranchées et les champs de bataille, puis jouèrent des saynètes émouvantes inspirées des souffrances et scènes de temps de guerre élaborées en ateliers théâtre grâce aux enseignantes des écoles communales et à la compagnie de théâtre d’objets « Le Morbus théâtre », connue pour avoir déjà exposé « 14-18 » en mars 2008 et joué « Les privés d’amour » en septembre 2008 (journées du patrimoine) au moulin des Tricoteries sur le thème de 14-18 et du souvenir gardé chez les habitants. Qu’ils en soient tous remerciés pour leur participation à l’œuvre de commémoration. Merci aussi Monsieur Bruit !

Frédéric Damien